lundi 29 avril 2013

I) 2001: A Space Odyssey: une référence singulière et incontournable au sein de la culture médiatique


          L'œuvre de Stanley Kubrick se caractérise par sa singularité: faisant partie d'un réseau médiatique particulièrement dense, elle se définit rapidement comme une entité indépendante ayant une existence médiatique hors norme. Mais surtout, 2001: A Space Odyssey s'avère être une référence incontournable au sein de la science-fiction, du cinéma, et d'une façon plus générale de la culture populaire.


1) 2001: A Space Odyssey et la densité de son réseau médiatique


   2001: a Space Odyssey n'est pas une œuvre isolée, puisqu'elle fait partie d'un réseau médiatique particulièrement dense.
 Elle est directement inspirée de la nouvelle d'Arthur C.Clarke, "The sentinel"; écrite en 1948 pour une compétition organisée par la BBC, en Angleterre, elle paraît pour la première fois en 1951 dans le magazine 10 Story Fantasy, sous le titre « Sentinel of eternity ».

couverture du magazine 10StoryFantasy, été1951; première page de "Sentinel of Eternity" d'Arthur C.Clarke, 10StoryFantasy, été1951
Elle sera publiée la même année aux Etats-Unis dans  The Avon Science Fiction and Fantasy Reader. Au cours des années 60, Stanley Kubrick, réalisateur acquérant une notoriété de plus en plus importante avec des œuvres telles Les sentiers de la gloire ou Dr Folamour, souhaite mettre en scène un film de science-fiction. Pour cela, il prend contact avec Arthur C.Clarke, souhaitant utiliser comme base artistique cette nouvelle qui raconte la découverte, par un groupe d'astronautes, d'une sentinelle positionnée sur la Lune par une intelligence extraterrestre. Ensemble, ils débutent le projet de ce film, qui sera par la suite 2001: A Space Odyssey.

Stanley Kubrick souhaite l'écriture d'un roman, parallèlement au film, narrant la même histoire. Cette volonté d'étendre le projet à la sphère littéraire démontre une envie d'élaborer une fiction de grande ampleur, dépassant le simple cadre cinématographique. Bien que le projet soit commun, il laisse la paternité de l'œuvre littéraire et du scénario du film à Arthur C.Clarke, et s'octroie celle de la réalisation. Ainsi, en 1968, sortent le film et le livre 2001: a Space Odyssey
 
Une des affiches américaine de 2001: A Space Odyssey, Arthur C.Clarke, 1968

Cette fiction met en scène différents âges de l'humanité, et le rôle joué par une intelligence extraterrestre inconnue. Elle est divisée en quatre parties distinctes: des hommes-singes, qui risquent l'extinction, apprennent à se servir d'une arme grâce au contact avec un monolithe noir; en 1999, le Dr Heywood Floyd se rend sur la Lune où se trouve également un monolithe, enfoui depuis des millions d'années, qui ne tarde pas à émettre un puissant signal; le vaisseau "Discovery One", composé d'une équipe de cinq hommes (dont trois en état d’hibernation), et d'un ordinateur HAL doté d'une intelligence artificielle, se rend vers Jupiter; Dave Bowman, un des cosmonaute du "Discovery One", arrivé aux alentours de Jupiter, vit un voyage cosmique à travers l'espace. Malgré la sortie conjointe des deux œuvres, c'est véritablement le film qui suscite de vives réactions, dues autant à son ton expérimental et hermétique qu'aux prouesses techniques et créatives qui en feront d'ailleurs, rapidement, un classique de la science-fiction et du cinéma en général.

En 1977, Jack Kirby, artiste célèbre de la bande dessinée américaine créé, sous la filiation de Marvel, un robot super-héros, Mister Machine, qui deviendra par la suite Machine Man: il le met en scène dans 2001: A Space Odyssey, une série de comics dont la fiction se passe chronologiquement après les évènements de l'œuvre de Stanley Kubrick et d'Arthur C.Clarke. 

couverture de 2001: A Space Odyssey, Jack Kirby, édtion juillet1977
Ce personnage existera jusqu'en 2007, au sein de huit numéros. Cela montre véritablement la postérité de 2001: A Space Odyssey, son univers étant encore commercialisé lors des années 2000.

Suite au succès du livre et surtout du film, Arthur C.Clarke décide d'écrire seul une suite à 2001: A Space Odyssey, qui sera intitulée 2010: Odyssey Two. Ce roman, paru en 1982, se passe chronologiquement quelques années après; très rapidement, une adaptation cinématographique voit le jour, puisque le film 2010: the year we make contact sort en 1985. 
 
Affiche américaine de 2010: the year we make contact, Peter Yames, 1985

Bien que ce film soit rentable, il ne connaît pas le succès de son prédécesseur, puisqu'il  ne rapporte financièrement que le tiers de 2001: a Space Odyssey.1
Quelques années plus tard, en 1988, Arthur C.Clarke reprend l'écriture et écrit une autre suite, intitulée 2061: Odyssey three; après une pause conséquente, c'est en 1997 qu'il décide de conclure ce qui est devenu une saga, avec le roman 3001: The final odyssey.
            
          2001: A Space Odyssey est ancré au sein d'un réseau médiatique dense, comprenant aussi bien des œuvres cinématographiques, des romans ou des bandes-dessinées. Pourtant, malgré cet état de fait, c'est véritablement le film de Stanley Kubrick qui demeure dans la culture médiatique un référent incontournable. Cette primauté de 2001: A Space Odyssey par rapport à sa propre filiation démontre qu'il détient une existence propre et indépendante au sein de la sphère médiatique.

1: articles mentionnant les recettes des deux films: 
http://www.avoir-alire.com/2010-l-annee-du-premier-contact-la-critique et
http://fr.wikipedia.org/wiki/2001,_l%27Odyss%C3%A9e_de_l%27espace



2) Un rapport prédominant avec le réel: des aspects légendaires




          Le statut particulier de 2001: A Space Odyssey, qui a une présence médiatique indépendante, peut être expliqué par le rapport prédominant qu'il détient avec le réel, et qui lui font acquérir des aspects légendaires. Il semble important de préciser ce qu'est une légende: il s'agit de la "représentation d'un fait, d'un événement réel, historique, déformé et embelli par l'imagination."1 Il s'agirait donc d'un fait réel, qui à force de déformations, se rapprocherait de la fiction. Appliquer cette définition à 2001: A Space Odyssey semble étonnant, puisqu'il s'agit d'une œuvre à caractère fictionnel, et cela dès l'origine; pourtant, il semble possible d'attribuer à ce film des caractéristiques légendaires, puisque son rapport à la réalité est très ambiguë.
Cela s'explique notamment par le contexte historique qui encadre la sortie du film. Dans les années 60, la guerre froide entre le bloc soviétique et les Etats-Unis engendre une concurrence en ce qui concerne les progrès technologiques et scientifiques, et donc en ce qui concerne la conquête spatiale. L'objectif est d'être le premier à maîtriser l'espace, ce qui devient rapidement un but à atteindre, et une aspiration très importante pour l'époque.  L'espace fascine, représente l'avenir de l'homme, et suscite de nombreuses attentes. 2001: A Space Odyssey correspond parfaitement à ses aspirations, et met en scène ce qui est souhaité par l'homme; cette œuvre incarne donc un fantasme propre à cette époque. En cela, ce film est véritablement lié à son contexte historique, puisqu'il en est directement constitué.
La relation primordiale entre 2001: a space odyssey et le réel se démontre également par la volonté de Stanley Kubrick, lors de l'élaboration du film, d'insérer du "réalisme". Comme l'explicite le reportage 2001: the making of a myth,2 avant la réalisation de son œuvre, lui et Arthur C.Clarke ont fait des recherches particulièrement poussées, notamment dans le domaine de l'aérospatial, afin d'apporter de la vraisemblance au projet. Ainsi, ils ont pu se rendre à la NASA afin d'obtenir des informations propices à l'élaboration des vaisseaux spatiaux; il n'était pas seulement question de l'esthétique, mais également du souci d'être le plus réaliste possible, en imaginant des engins vraisemblables. D'ailleurs, Stanley Kubrick a engagé, pendant l'élaboration de son film, un consultant scientifique afin de ne pas mettre en scène des éléments improbables.
Ce soucis de réalisme est véritablement porté à son paroxysme, puisque 2001: A Space Odyssey a acquis avec le temps les aspects d'un film visionnaire. Effectivement, la technologie hypothétique du film, inexistante à l'époque, a été conçue avec un tel souci de vraisemblance qu'elle est devenue réelle par la suite. Il est possible de mettre en lumière cet extrait de l'œuvre de Stanley Kubrick, particulièrement éloquent:





Il s'agit d'un des deux cosmonautes du vaisseau "Discovery One", Franck Poole, qui utilise un écran ressemblant fortement aux tablettes informatiques commercialisées depuis les années 2010. Or, ce rapprochement n'est pas que subjectif, puisqu'il a servi d'argument très sérieux lors d'un affrontement entre les entreprises Apple et Samsung.3 Effectivement, l'entreprise coréenne Samsung, accusée de plagiat par Apple en ce qui concerne sa tablette, n'hésite pas à évoquer 2001: A Space Odyssey, expliquant que l'entreprise américaine n'a rien inventé, puisqu'elle existait auparavant. Cet argument, un peu décalé, est surtout révélateur du fait que l'œuvre de Stanley Kubrick est perçue comme un gage de crédibilité technologique. 2001: A Space Odyssey est une référence qu'il est possible d'évoquer non plus seulement dans un cadre purement cinématographique, mais au sein de sujets réels.
Cette œuvre détient des aspects légendaires: son rapport au réel lui donne une existence propre qui dépasse le simple cadre de la fiction. Cette singularité médiatique lui permet d'acquérir un statut primordial au sein de la culture populaire.

1:définition dictionnaire TLF en ligne: http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=668499075;
2:« 2001 : The making of a mythe », Channel Four, blu-ray 2001 : a Space Odyssey, 2007 
3:article évoquant cette affaire: http://pro.clubic.com/entreprises/samsung/actualite-442220-samsung-cite-2001-odyssee-espace-defense-apple.html